Nous quittons le continent à bord du Pathagon au soir du 7 février. Destination Porvenir, de l’autre côté du détroit de Magellan, village niché au fond d’une baie tranquille, peuplé par une vague d’immigration croate venus y chercher de l’or à la fin du 19ème siècle.

Nous voici en Terre de Feu, ultime étape de notre voyage. 

Nous optons une nouvelle fois pour le chemin des écoliers qui plonge vers le sud, au cœur de l’île, par des pistes perdues.

Chargés de nourriture pour six jours, nous entamons notre traversée par une jolie piste qui s’élève et serpente entre les collines, le long des ruisseaux aurifères. On gagne toujours à prendre de la hauteur. En récompense cette fois, une vue imprenable sur le détroit jusqu’à Punta Arenas, puis une descente en belvédère sur la Bahía Inútil.

Pendant quatre jours, nous traversons un grand RIEN. Une pampa herbeuse à perte de vue, des hardes de guanacos, quelques troupeaux de moutons, une estancia esseulée tous les 50km… et le vent, toujours. Tantôt de côté nous obligeant à nous incliner pour garder le cap, tantôt dans le dos pour nous rappeler la chance qu’on a de ne pas faire le trajet en sens inverse. Mais nous roulons sous un doux soleil magnifiant ces paysages dans une lumière toujours aussi féerique.

Perdus dans cette steppe infinie et peu hospitalière, on mesure à quel point ces mois d’itinérance nous ont aguerris à l’autonomie. Gérer l’eau, rechercher un bon spot de bivouac, se doucher à l’eau froide en plein air, cuisiner dans le vent ou sous la pluie, sont devenus des gestes familiers qui nous permettent de nous écarter des chemins tout tracés. Quelle liberté !

Encore un passage de frontière confidentiel au Paso Bella Vista. Cette fois, les bureaux sont vides, il nous faut aller chercher le douanier qui tamponne nos passeports sans même regarder nos noms. Côté argentin, même décontraction. Ils ne portent pas l’uniforme, et sont scotchés à leur télé qui diffuse des mauvais feuilletons au milieu du bureau.

En gagnant le sud de l’île, la vie réapparaît : les rios, quelques arbres d’abord, les forêts ensuite, des vaches, des estancias plus rapprochées, des lacs. Puis nous rejoignons la Ruta 3 que nous ne pourrons éviter sur les 120 derniers kilomètres. Bonne surprise, elle nous emmène par une jolie route de montagne vers la fin de notre balade.

Le 13 février, après six jours superbes, sauvages et isolés en Terre de Feu, nous arrivons à Ushuaia.
7 mois (+2 jours) et 9.700km après notre départ de Quito, nous sommes heureux et émus en atteignant notre but.

Mais, à y regarder de plus près, Ushuaia, auto proclamée « ville la plus au sud du monde », a un peu usurpé son titre. De l’autre côté du canal de Beagle, sur l’Isla Navarino, en terre chilienne, Puerto Williams pointe quelques minutes de latitude supplémentaires et nous invite « Mas alla del fin del Mundo » (Au-delà de la fin du Monde).

Nous embarquons donc avec nos montures pour traverser le canal en zodiac. En seulement 30 minutes, nous sommes au débarcadère de Puerto Navarino à l’extrémité ouest de l’île, 55km avant le village de Puerto Williams. Les formalités d’entrée au Chili se faisant exclusivement là-bas, nous ne sommes pas autorisés à faire ce dernier tronçon à vélo. On nous conduit en minibus… dommage.

L’île est principalement visitée par les randonneurs pour le très sauvage trek des Dientes de Navarino. Un circuit de quatre jours en pleine nature à travers les montagnes australes, souvent rendu difficile par des conditions météos agitées. Nous partons sous une petite pluie, à laquelle vient s’ajouter un fort vent, le brouillard et le froid dès le premier sommet. Après ces mois d’itinérance, l’envie d’achever le voyage dans la douceur, sans s’imposer de conditions pénibles, l’emporte. Nous rebroussons chemin.

Bercés par la chaleur du poêle du camping El Padrino, où les voyageurs se retrouvent dans une ambiance familiale, nous profitons des éclaircies pour marcher et pédaler sur l’île. Nos bicyclettes nous mènent vers l’extrême est, par une superbe piste côtière. On est ici à quelques encablures seulement du Cap Horn. Les montagnes enneigées plongent dans la mer, les forêts sont soigneusement peignées par le vent, les oiseaux virevoltent en totale quiétude. Dans l’eau nous pouvons même apercevoir baleines et lions de mer.

Et puis, la piste s’arrête. Cette fois nous sommes au bout de la route, plus moyen de continuer plus au sud.

Encore quelques jours à Ushuaia. Nous retrouvons Sarah et Arthur pour une balade dans le parc de tierra del fuego et de chouettes soirées autour du feu.

Notre petite odyssée prend fin et nous laisse comblés. Elle a été telle que nous l’imaginions. Un voyage où le vélo est le moyen et non le but. Un voyage à un rythme mesuré, où le défi physique ne l’emporte pas sur l’envie de découverte et le désir de rencontres.

Nous arrivons en pleine forme, sans avoir connu de baisse de moral ou de moments de découragement, remplis de vie nomade, de paysages grandioses, de grands espaces, et de jolis moments d’échanges.

Le 27 février, nous nous envolons pour Buenos Aires puis Paris avant un retour à notre vie « normale ». Nous la retrouverons avec plaisir, en continuant de rêver à d’autres aventures…