Le 6 décembre, sous le doux soleil de l’été austral, nous ouvrons une nouvelle page de notre balade en remontant sur nos vélos à Temuco, pour une ultime cession de 3.000 km environ, qui doit nous mener à la pointe sud du continent.

Nous tirons un bord plein Est, le volcan enneigé Llaima (3.125 m) en point de mire, pour retrouver les Andes et plonger au coeur de cette région criblée de grands lacs. On est ici à -39 degrés de latitude, soit à peu près le symétrique de Madrid dans l’hémisphère Sud, mais sous un climat tempéré océanique qui rappelle l’europe septentrionale. Les forêts, les prairies fleuries peuplées de grands arbres isolés, les fougueuses rivières à truites, les odeurs de bois et d’humus accompagnent notre route vers les montagnes.
Villages de maisons en bois, pickups chargés de canoës, de VTT ou de cannes à pêche, hommes portant chapeau et grosses ceintures de cuir. Bienvenue chez les trappeurs.

C’est notre première halte, quand nous toquons à la porte de la ferme d’Elsira à la recherche d’un spot de camping. Elle nous conduit immédiatement, avec un naturel déconcertant, au bout de son terrain sous un grand cerisier au bord d’un petit torrent : « vous pouvez vous poser ici, l’eau qui dévale de la montagne est potable, vous pouvez faire du feu, et n’oubliez pas de refermer la barrière pour les animaux ». Un bivouac idéal parmi les canards, les chiens et les chevaux, pour une fin de journée au soleil avec douche naturelle bien fraîche dans la rivière.

En poursuivant vers le parc national de Conguillo, nous prenons contact avec le « ripio » (gravier) chilien. Des pistes roulantes et bien entretenues. De véritables routes non revêtues desservant les villages et fermes isolés. Le crissement de nos pneus sur ces chemins natures est un vrai bonheur.

L’altitude s’accroît en contournant le Llaima par le nord. Nous nous enfonçons dans la rainforest patagone qui recouvre le versant Ouest des Andes de ses magnifiques arbres au port altier. Nous y découvrons en particulier l’Araucaria (pin du Chili), symbole de la région d’Araucanie que nous parcourons. Il produit d’abondants pignons qui ont longtemps constitué la base alimentaire des indigènes Mapuche. A ses côtés trônent les superbes Coigües (faux hêtre), imposantes ogives quasi parfaites de plusieurs dizaines de mètres de haut.

Mais dans « rainforest » il y a « rain ». Nous ne pouvions donc avoir un aperçu complet de ce milieu sans nous soumettre à l’épreuve de la pluie. Ça sera chose faite lors de notre montée au lac de Conguillo. Une journée sous des hallebardes ininterrompues qui transforment les chemins en ruisseaux, puis bientôt en rivières, nous privant des vues sur les sommets et le volcan. Progression difficile qui tient plus du parcours VTT hivernal que du voyage à vélo, mais nos fidèles montures passent partout. Seuls nos patins de freins, littéralement rabotés par le mélange eau/sable volcanique, rendent l’âme, nous obligeant à un remplacement d’urgence en pleine descente.
En récompense de notre opiniâtreté, la fin de la journée nous offre de belles éclaircies sur les coulées de lave stériles, déversées lors de la dernière éruption du volcan en janvier 2008. Paysage à la violence froide, rentrée, sous une lumière irréelle. Le soir nous trouvons un refuge douillet dans une cabaña du lodge « La baita de Conguillo », au coin d’un poêle à bois diffusant sa chaleur bienfaitrice. L’odeur du bois et du feu nous accompagne d’ailleurs partout désormais.

Nous sillonnons le ripio des campagnes plissées du piémont andin à la rencontre d’une pléiade de lacs. Les raidillons s’enchaînent, et se déchaînent parfois. 8, 10, 12, 15%. Au-delà, nos cuisses ne suivent plus. On pousse.
Lago Colico, lago Huilipilún, lago Villarica, lago Calafquen,… s’enchaînent sur fond de sommets et de volcans enneigés, en faisant scintiller leurs eaux d’un bleu profond à notre passage.
C’est la saison des cerises, des framboises, et des myrtilles qui agrémentent désormais nos repas et nos pique-nique. C’est aussi l’occasion de goûter au « mote con huesillos », la boisson rafraîchissante nationale à base de blé cuit et de pêche séchée. Intéressant, mais nous préférerons continuer à nous délecter des succulents jus de fruits frais.

A Coñaripe le cadre idyllique des « termas geometricas » nous accueille pour un après-midi de délassement. Ce complexe thermal, aménagé dans le lit d’un petit canyon, est une pure merveille d’agrément et d’intégration dans le site. Dans une ambiance très zen, un dédale de 500 m de passerelles en bois dessert une vingtaine de piscines d’eau chaude naturelle en ardoise, occupant les détours et les recoins du torrent au milieu d’une végétation luxuriante. Tout y est conçu avec une grande simplicité et une finesse sans faute. Un délice !

Notre tournée des lacs nous mène ensuite de l’autre côté des Andes pour une incursion de quelques jours en Argentine. Depuis Puerto Fuy, nous traversons en ferry le lago Pirihueico dans l’air calme et les eaux immobiles du petit matin, pour rejoindre une frontière perdue en pleine montagne.

San Martin de los Andes nous accueille après une plongée vers les rives du lago Lácar. Capitale touristique de la province, nichée au cœur des Andes, ce bourg à l’ambiance jeune et détendue est un must pour les amoureux de sports de plein air, d’été comme d’hiver. Nous y rencontrons pour la première fois la forte influence germanique qui a laissé son empreinte sur le nord de la Patagonie. L’architecture des maisons est largement inspirée des chalets bavarois ou suisses, les pâtisseries regorgent d’énormes kuchen à la crème, la charcuterie côtoie les poissons et les viandes fumées, et beaucoup d’enseignes sont bilingues.

Nous retrouvons la ruta 40, laissée plus au nord. Sur une centaine de kilomètres, elle prend le nom de « route des sept lacs ». Nous suivons cette serpentine ourlée d’écharpes de lupins roses et mauves rehaussées ça et là par le jaune d’or des genêts.
Les lacs saphir étincelants, où se noie l’émeraude profond des rivières, s’égrènent au long de la route comme autant de perles que nous ajoutons à notre collection. Ce chemin paraît avoir été soigneusement tracé pour mettre en scène ces joyaux glaciaires sertis au milieu des montagnes. Ils seront l’occasion de pique-niques, de bivouacs, et de nombreuses baignades (souvent fraîches), dans des décors de fabuleux.

De retour au Chili après un nouveau passage des Andes par le col Cardenal Antonio Samore (1.308 m … seulement!), nous retrouvons les plaines.

Sur les rives du Lago Lanquihue, le musée de Frutillar nous fait prendre conscience de l’importance de la colonisation allemande qui a transformé cette région à partir du milieu du 19è siècle. Une colonisation choisie par le gouvernement chilien d’alors qui a véritablement « parrainé » la venue de familles allemandes, en donnant des terres aux arrivants. Elles ont investi et transformé ces espaces vierges en apportant avec elles agriculture, techniques, culture, religion,… Cette influence reste très présente.

Encore quelques kilomètres, et nous faisons escale à Puerto Varas, sur la rive Sud du Lago Llanquihue, pour passer Noël. Nous nous installons à l’auberge de jeunesse Margouya Patagonia, tenue par Pierre, qui a su créer un lieu simple, confortable et chaleureux, point de rencontre de nombreux voyageurs au long cours. Un endroit parfait pour un réveillon loin des nôtres.

Pour conclure cette année pas comme les autres, notre cadeau mutuel sera l’ascension, le 23 décembre, du géant local au cône parfait : le volcan Osorno (2.661 m). Nuit en refuge, levé à 4h du matin pour un départ à 5h, 1.500 m d’ascension dont 600 sur glacier, piolets en main et crampons aux pieds, une escalade sommitale dans des pentes de 50 à 55 degrés, et, pour finir, une vue à 360 degrés d’une beauté stupéfiante sur le Llanquihue, et sur une mer de nuages d’où émergent comme des îles les sommets des volcans voisins. Joyeux Noël !

Il souffle dans ces grands espaces, un vent de liberté qui nous a saisi et séduit immédiatement. On y randonne, on y rame, on y pêche, on y fait du feu, on y bivouaque, sans contraintes… La nature est brute, mais féconde et accueillante, et ne semble pas subir la pression des hommes. Les ressources y paraissent intarissables. Impression d’une vie libre, hors du carcan des règlements, où tout est possible.

Là-bas, tout est neuf et tout est sauvage…