Nous repartons de Cusco le 21 septembre en cyclistes frais – vélos révisés, vêtements nettoyés – rassasiés de belles visites, de rencontres sympathiques et de cuisine variée, mais impatients de retrouver l’itinérance et l’authenticité des campagnes.

C’est par des décors plutôt ordinaires sur une route assez empruntée, que nous sortons de la ville et que nous remontons le cours du Rio Vilcanota. Cependant, vu de nos guidons, tous les paysages, toutes les situations prennent de l’intérêt. Loin d’être de simples observateurs, nous prenons part aux scènes qui défilent. La traversée d’un village et de son marché grouillant, sale et nauséabond devient ainsi une expérience…

Nous connaissons alors notre premier incident mécanique significatif : une fissure sur plusieurs centimètres de la jante avant de Jérôme. Impossible de trouver une jante à 32 rayons compatible avec notre moyeu dynamo sur notre chemin. Nous achetons donc une roue avant de fortune (8 € !) en attendant la réparation de la roue cassée, qui voyagera sur le porte bagage jusqu’à Puno.

Peu avant le col Abra La Raya qui marquera notre arrivée sur l’Altiplano, nous faisons escale à Aguas Calientes et son complexe de bassins d’eaux chaudes en plein air (et en pleine montagne), véritable bains publics des villages alentours, ouvert 24h/24 (?!?).
Le site ressemble une peu à une vieille installation soviétique délabrée. Les toilettes et les douches sont immondes, la chambre est plus que spartiate, mais le bain à 4.100 m, dans une eau à 40 degrés sous un milliard d’étoiles, associé à la perspective de dormir au chaud, nous comblent.

Passé le col, l’Altiplano s’ouvre devant nous : océan d’herbes jaunies par la saison sèche, constellé de troupeaux et de fermes isolées appuyées contre le ciel. Fini les grands cols interminables, celui que nous devons craindre désormais, c’est le vent. Il choisira son heure, mais se lèvera systématiquement.

Route monotone, propice à la rêverie. Nos esprits divaguent au fil des longues lignes droites plates comme la main. On croirait nos altimètres bloqués à 3.900 m. Mais le vent nous est globalement favorable, et les étapes vont bon train.

Traverser ces étendues au rythme mécanique de nos coups de pédales nous permet d’en prendre toute la mesure. Immensité, isolement, dénuement de ces campagnes où le soleil accable tout le jour sans un arbre pour vous procurer la moindre ombre, et où le froid pince la nuit…, et ce vent qui glace les corps et saoule les tempes sans répit. Peu de gaité sur les visages que nous croisons. La rigueur de l’environnement conduit sans doute à une certaine rudesse…

Nous gagnons ensuite Puno, étape agréable mais sans charme. Un passage obligé pour effectuer les formalités de sortie du pays.
Sur les conseils d’autres cyclos, nous projetons en effet de faire le tour du lac par la rive nord, plus sauvage, mais non dotée de poste frontière péruvien. Il faut donc obtenir ici le précieux tampon. On aura ensuite cinq jours pour se faire enregistrer en Bolivie.

Sur le port, nous nous entendons avec Félix, un pêcheur des îles Uros, pour traverser jusqu’à la péninsule de Capachica, au nord-ouest du lac.
Le lendemain, il embarque passagers, bagages et vélos sur son petit bateau bleu pour une « croisière » de 2h30.
Le temps est calme et le soleil nous gratifie de ses caresses. Nous glissons d’abord parmis les totoras (les roseaux nourriciers du lac : matière première servant à la construction des îles flottantes, des maisons, des bateaux,…), puis sur une véritable mer intérieure, dans le vent et les embruns.
C’est bien arrosés et rafraîchis que nous débarquons sur une jetée confidentielle à l’ouest de Llachon.

Le tour du lac nous livre des panoramas époustouflants de beauté et de douceur. Depuis des pistes désertes, en corniche ou au ras des roseaux, l’admirable bleu outremer de l’eau, la terre rouge des montagnes qui y plongent leurs pieds, le ciel d’azur, l’odeur des eucalyptus, et le vol des oiseaux, composent un tableau idyllique.
Nous sommes plongés en Méditerranée !

Jacantaya est un spot de bivouac idéal au bord du lac. Sa tranquillité sera à peine troublée par une rencontre nocturne entre une voiture tous feux éteints, et un bateau, à 20 m de notre tente. On ne veut rien savoir du contenu des caisses transbahutées…

Au matin du 30 septembre, poursuivant par les chemins de traverse, nous franchissons une frontière invisible, à peine marquée par une borne, et avons l’impression d’entrer en Bolivie par la porte de service.
Une dizaine de kilomètres plus loin, notre arrivée est régularisée sans difficulté à Puerto Acosta, 4 jours après notre départ de Puno.
Nous avançons nos montres, et gagnons une heure de soleil. Nous pourrons ainsi profiter de nos soirées jusqu’à 19h00.

Les premiers bourgs et villages traversés, bien que peu différents du Pérou, nous apparaissent encore plus vétustes. Même la Plaza de Armas, notre habituelle oasis verte et aménagée, ne constitue plus un refuge agréable. Nous traçons la route…

Le 2 octobre, la traversée d’El Alto, bidonville initialement peuplé de paysans et de migrants, transformé en agglomération anarchique de 650 000 habitants, s’achève par un plongeon dans La Paz. Cité tentaculaire impressionnante, presque inquiétante, à l’assaut des montagnes et vallées environnantes.

Après 3 mois et 3 609 kilomètres pédalés (la précision de nos estimations nous épate !), nous démarrons notre séjour Bolivien…